Oooh merci beaucoup Eska, c'est très aimable à toi. Je craignais devoir commettre l'irréparable.
Eh bien, on peut dire qu'il y a des parents comme ça qui ne méritent pas de l'être. Mais bon, que veux-tu... Les croyances extrêmes ont toujours fait commettre le pire sur un membre de la famille.
Je suis content en tout cas qu'on puisse apprécier la petite Lizzie, j'essaie au mieux de rendre les personnages crédibles.
Bon, ceci étant dit, je suis ravi de voir que tu aimes ! Et je mets la suite parce qu'il y a pas de raison.
Chapitre 2
Une forme dotée de noir et de blanc se dessinait dans le ciel mourant de la nuit. Les battements des ailes de la créature se multipliaient tandis qu'elle et la jeune fille se rapprochaient de la terre ferme d'une île. Le dragon noir atterrit sur ses pattes arrières puisque ses pattes antérieures étaient déjà utilisées pour tenir sa proie. Ses grandes ailes qui possédaient six doigts se rabattirent sur ses flancs tandis qu'il se penchait pour poser sa victime, qui n'avait toujours pas rouvert les yeux, au sol. Cependant, l'endroit qu'il avait choisi n'était pas le meilleur. Le sol était jonché de roches brisées et aiguisées comme des silex. En amenant la jeune fille évanouie au sol, la créature ne s’était pas rendu compte que l’une des pierres tranchantes se trouvait au niveau du bras de sa victime. Cette dernière se réveilla brusquement lorsqu’elle ressentit une vive douleur déchirer son bras gauche au contact du silex Néanmoins, elle ne sut crier quand elle vit au-dessus d'elle cette créature menaçante penchée sur son petit corps d'humain. Lizzie se tint le bras et sentit une vive douleur se déclencher au contact de ses doigts. Elle baissa les yeux sur sa main et s'aperçut avec horreur un liquide chaud et sombre couler le long de ses doigts. Du sang. Figée d'effroi, elle leva ses yeux grands ouverts sur le monstre qui se tenait face à elle et aperçut avec horreur que ses narines bougeaient vivement, à intervalles irrégulières, tandis que son souffle se faisait court : il sentait l'odeur de son sang. Le petit cœur de l'humaine rata un battement et une voix s'écria dans sa tête :
« Cours ! »
Et Lizzie s'exécuta sans attendre. Elle prit appui de ses mains et prit ses jambes à son cou pour fuir dans la direction opposée du prédateur. La petite fille s'engouffra dans la forêt qui se trouvait à ce moment-là derrière elle, persuadée d'avoir une chance de pouvoir s'y cacher.
Elle courut longtemps, aussi longtemps que ses jambes fines le pouvaient. Sa gorge, sa poitrine et ses flancs lui faisaient horriblement mal et sa bouche était sèche. L'adolescente se perdait dans toute cette verdure et pensait que c'était le meilleur moyen de semer la créature qui était à ses trousses. Était-elle à ses trousses ? Elle n'avait même pas pris la peine de vérifier et de toute manière, elle ne voulait pas le faire. L'humaine, à bout de souffle et son bras endolori, s'arrêta sur un bout de chemin et continua la route sur la droite. Ses rotules lui tiraient et lui suppliaient d'arrêter de les malmener autant. Alors celle-ci s'arrêta quand elle se rendit compte qu'elle ne pouvait plus courir dû à l'épuisement. Lizzie profitait du répit pour retrouver son souffle tout en regardant autour d'elle. Le silence régnait. Les chants des oiseaux commençaient petit à petit à s'éveiller et à rendre la forêt vivante. C'était doux et mélodieux à écouter. Les entendre la faisait oublier l'épreuve qu'elle venait de vivre, elle sentait la pression retomber en douceur. Puis elle se tourna pour reprendre la route quand elle tomba nez à nez avec son assaillant. L'adolescente cria de frayeur avant de tomber en arrière. La chose la fixait de ses yeux verts perçants et de sa gorge émanait un grondement qui ne lui présageait rien de bon. La victime à bout de souffle, reculait par-terre sans quitter le reptile ailé des yeux, mais s'apercevait qu'il avançait au fur et à mesure qu'elle s'éloignait sans une once de crainte. Il la dominait rien que par sa taille et son regard transperçait l'être de la jeune fille. Même son allure, qui ressemblait beaucoup à celle d'un chat, avait sa manière d'intimider l'adversaire et à le rendre inoffensif. Lizzie continuait de reculer jusqu'à que son dos s'écrase contre un tronc d'arbre. Elle s'y collait en espérant d'avoir le pouvoir de se fondre dans son environnement. Il s'avérait que ce n'était pas très efficace puisque le dragon était à présent à quelques centimètres de son visage. L'enfant était totalement à sa merci. Ses yeux grand écarquillés se noyaient dans ses larmes tandis que le visage du prédateur se dirigeait sur son bras. Le voile transparent et le gant étaient imprégnés de son sang, mêlés à la sueur et la salissure. Le dragon jeta un instant son regard sur le visage de la petite terrorisée et déchira le voile de son bras gauche d'un coup de mâchoire. En retour, Lizzie cria de peur puisqu'à cet instant, elle était incapable de ressentir la douleur tant la terreur avait anesthésié son corps. L'adolescente se revoyait dépecée et dévorée vivante. Elle ne voulait pas mourir, pas de cette manière du moins. Ce n'était pas chrétien. Elle hyper-ventilait et sanglotait sans quitter des yeux la bête qui à présent reniflait de plus près la blessure. Sentant qu'elle allait bientôt vriller, Lizzie ferma les yeux et serra les dents tandis que ses membres tremblaient comme des feuilles mortes. Puis elle sentit quelque chose de chaud et humide caresser son bras à l'endroit de l'entaille. Il se trouva que ce n'était pas douloureux, ça en était même apaisant. Elle rouvrit alors les yeux pour risquer un coup d'oeil curieux, quelque peu calmée, pour voir cette créature lécher sa plaie jusqu'à ce qu'elle soit propre avant de reculer et se lécher les babines, tandis qu'elle se posait sur son train arrière. L'animal la fixait en restant tranquillement dressé après avoir pris soin de garder un bon mètre de distance avec l'humaine. L'enfant restait immobile et avait besoin d'un moment pour enregistrer ce qu'il venait de se passer. Le dragon n'avait rien de farouche, il était d'ailleurs aussi adorable qu'un chaton et d'un chiot réunis. Elle remarquait que les pupilles de la créature avaient pris de l'épaisseur et que ses grondements avaient stoppé. Elle semblait à présent attendre une réaction de la part de la jeune fille. Abasourdie, celle-ci balbutia :
« M-Merci. »
Le dragon releva ce qu'il semblait être ses oreilles et pencha quelque peu sa tête, comme s'il cherchait à comprendre ce qu'elle disait. La jeune fille alors, qui n'osait d'abord pas bouger, se tenta à toucher cet animal. Lizzie était dorénavant curieuse et demandait sans attendre de réponse :
« Vous ne nous mangez pas alors ? »
Mais le reptile détourna la tête et remonta sa lèvre supérieure dans une expression de répulsion, dévoilant ses crocs pointus. Il refusait d'être touché. La fille abandonna alors son idée même si ce désir restait brûlant. Le dragon baissa ses yeux sur le bas de la robe de la jeune sacrifiée et se baissa pour attraper le tissu entre ses dents et la tirer, l'obligeant alors à se rattraper sur ses mains.
« Mais qu'est-ce que- » s'écria Lizzie, surprise alors qu'elle redressait son buste.
La bête tira une nouvelle fois, ce qui fit tomber l'humaine en arrière à nouveau. Elle comprit alors qu'elle voulait qu'elle se lève puis s'exécuta. Cela fait, le dragon la lâcha et puis se tourna sans la quitter des yeux. Il laissa échapper un souffle bruyant en jetant sa tête vers une direction pour l'inciter à le suivre. Lizzie hocha la tête et marcha derrière lui, tandis qu'il l'amenait au point de leur atterrissage. C'est alors que Lizzie put voir s'étendre une grande plage devant elle qui découpait la limite du continent. Non loin se dressaient les piques rocheuses et des cavernes annonçant l'avancée des montagnes et des hauteurs. La jeune humaine fut émerveillée devant cette vue mais elle n'eut pas le temps de l'admirer davantage puisque le dragon tira à nouveau sur sa robe pour l'inciter à avancer. Il l'attira au sein de l'île. Il y avait un cratère géant aux bords bien levés, prêt à défendre en son cœur quiconque y était le bienvenu. La demoiselle, quelque peu essoufflée et endolorie par la course-poursuite, se vit découvrir une demeure géante avec un toit de glace maintenu par un arc de pierre laissant un coin d'ombre à l'intérieur de l'antre, tandis que les parois des cristaux gelés diffusaient la lumière du soleil pour éclairer le reste. A la surface, un peu plus à côté de ce refuge, résidait multiples dragons aux espèces variées perchés sur des bancs de roches volcaniques. Au centre de leur arc de cercle, un grand point d'eau aux couleurs variant du bleu profond au turquoise s'étendait à la vue de l'humaine, qui dut prendre quelques instants pour admirer ce qui se présentait sous ses yeux. Le paysage était parsemé de dragons vivant en paix parmi les uns et les autres.
« Vous vivez tous ensemble ici ? C'est superbe. » Souffla-t-elle avec un grand sourire d'enfant.
Le dragon à côté d'elle semblait partager sa joie. Ils restèrent là, debout à regarder les autres reptiles passer en battant des ailes ou dormir.
« Qui aurait cru que vous étiez pacifiques ? » Se demanda-t-elle, déçue de n'avoir jamais rien su sur ces créatures.
La bête secoua la tête et partit vers une porte d'entrée. Lizzie fut extirpée de sa béatitude quand l'animal l'appela. Elle le regarda et le vit l'attendant, une patte levée, et jetait sa tête en direction de l'entrée en laissant échapper un étrange gémissement. Celle-ci vint à sa suite et regardait autour d'elle alors que les ténèbres les engloutissaient tous les deux. Au bout d'interminables secondes, la lumière naquit à nouveau dans le tunnel, ce qui eut don de rassurer la petite Lizzie qui marchait tout droit vers la sortie. Enfin, elle put voir le refuge de ces créatures. Des dizaines et des dizaines de reptiles volants se baladaient paisiblement dans les airs et dans la verdure de cet antre. L'enfant approcha du bord de l'étage et découvrit au centre de ce lieu immense un dragon géant. A vue d'oeil, il devait faire cent cinquante mètres de haut. Presque tout son corps était submergé par l'eau, ne laissant que sa tête et ses épaules à la surface. Il prenait appui sur un oreiller de pierres et de glace pour dormir en silence.
« Il est gigantesque et pourtant... Il m'a l'air inoffensif. » commentait-elle.
-Tu as raison. C'est un Roi pacifique veillant au bien-être de ses sujets, renchérit une voix de femme derrière elle.
Lizzie écarquilla les yeux de surprise et se retourna sur une dame nettement plus âgée qu'elle. Elle avait à peu près l'âge des anciens de son village. La jeune fille, surprise, avait fait un pas de recul avant de se tenir le bras à cause de la blessure qui la lançait de nouveau. L'inconnue baissa son regard clair sur son entaille puis regarda la Furie Nocturne en fronçant ses sourcils grisés :
« Que s'est-il passé ? » Demanda-t-elle avec une once de colère et d'incompréhension dans la voix.
Comprenant que ça allait être sa fête, la Furie Nocturne détourna la tête en maugréant, tandis que la dame âgée continuait :
« Vous avez été attaqués ou c'est toi qui n'as pas été assez prudente ? Tu aurais pu faire plus attention, qu'est-ce qu'elle va penser de nous maintenant ? »
La jeune fille regardait la scène de ménage sans savoir quoi dire. On aurait dit une mère qui grondait son enfant qui aurait fait une bêtise. Une fois cela fini, la dame se tourna vers elle et se radoucit :
« Je suis désolée de ce qui a pu arriver. Viens donc ma chère enfant, on va s'occuper de cette vilaine blessure. »
Sa main fripée vint délicatement se poser sur son dos, l'invitant à marcher avec elle jusqu'à son coin privé. Il y avait deux lits construits à la main dans un coin aménagé dans la pierre. Il se trouvait en hauteur et avait vue sur l'ensemble de l'enceinte du cratère. La jeune fille en était davantage époustouflée mais bientôt, son attention fut de nouveau centrée sur la vieille femme qui s'était arrêtée à quelques pas d'elle pour la regarder. Elle saisit un morceau de tissu rangé dans un tiroir d'une étagère faite main et de la ficelle.
« Assieds-toi donc là » Ordonna-t-elle en pointant le lit du doigt et Lizzie s'exécuta.
Tandis qu'elle attendait sur la couche, la dame rapprochait un petit tabouret avant de s'y poser dessus. L'enfant regardait autour d'elle. Ce petit coin était aménagé de façon à faire une maisonnette avec les choses nécessaires... Ou presque. Lits, étagères, coin cuisine, tout y était quasiment. Lizzie se demandait comment cette femme avait pu vivre aussi longtemps en pensant à tous les besoins qu'elle avait dû avoir. Pendant ce temps, elle baissait le regard sur les mains de cette inconnue qui étaient en train de toucher délicatement la zone de l'entaille. Elle palpait pour vérifier qu'il n'y ait pas de corps étranger qui aurait pu se loger à l'intérieur. La petite émit un gémissement quand la dame se décida à lui retirer le reste du voile qui était déchiré. La coupure était nette mais malgré tout assez profonde pour que le sang coule à flot.
« Cela m'a l'air bien douloureux », commenta cette dernière avant qu'elle ne prenne le lambeau de tissu et appelle la Furie en sifflant. « Ne t'en fais pas, ça disparaîtra en quelques semaines. »
Le dragon était à la hauteur de la femme et cherchait à savoir ce qu'elle voulait, les yeux aussi curieux qu'un chat et les oreilles aussi dressées que celles d'un chiot qui aurait vu un objet rouler près de lui. L'humaine présenta le bandage dans sa main droite. La bête comprit aussitôt et donna un coup de langue baveux dessus.
« Merci ma belle » lui dit-elle en frottant son nez contre le sien, ce qui provoqua chez le dragon un grand ronron.
Lizzie regardait la scène ébahie tandis que l'infirmière bandait son bras, la face baveuse contre sa peau. Tout en plaquant délicatement le tissu sur l'entaille, celle-ci lança les présentations.
« Je m'appelle Melwynn. Et toi, comment t'appelles-tu ? » Demanda-t-elle pour briser la glace.
- L... Lizzie. Je m'appelle Lizzie, répondit-elle avec un peu d'hésitation tout en la regardant faire.
- Quel joli prénom, cela te va à ravir. Enchantée, Lizzie.
L'enfant hocha la tête en retour. La dame finissait de faire le nœud autour de son bras avant de parfaire son œuvre.
«Voilà, la salive continuera de nettoyer la plaie et apaisera la douleur. » Conclut-elle en baissant délicatement les mains une fois la compresse bien placée.
- Merci beaucoup.
- Ce n'est rien, voyons.
Lizzie serrait ses mains tremblantes sur ses cuisses. Elle était toujours effrayée, mais plus du fait qu'elle avait perdu tous ses repères.
« Quel désastre... Je pensais qu'ils allaient enfin changer... Mais non, ce n'est pas du tout le cas » Soupira Melwynn, visiblement déçue.
La jeune demoiselle leva son regard inquiet vers elle.
« A- Seriez-vous... » Commença-t-elle.
- Une habitante de Soleil Couchant ? Plus depuis bien longtemps.
La femme se leva sur ces mots et se tourna pour prendre une inspiration. La Furie Nocturne se poussait pour la laisser passer et se postait à côté du lit où se trouvait la petite humaine. Melwynn joignait ses mains dans le dos en admirant la vue que lui offrait la hauteur.
« Comme toi j'ai été donnée en sacrifice il y a 50 ans de cela. J'ai toujours pensé que faire ce genre de choses à notre époque était puéril... Mais que sommes-nous contre la majorité des habitants qui sont enlisés dans la peur, même quand il n'y a plus de raison pour qu'ils en aient une ? Rien. J'avais alors accepté mon destin, bien que funeste. »
L'adolescente regardait l'individu monologuer en silence. C'était aussi ce qu'elle avait dû faire durant toute sa petite vie. Elle n'était décidément pas la seule à avoir résisté puis baissé les bras. Plusieurs fois il lui était arrivé de se demander si tout ça n'était qu'un mauvais rêve et qu'elle allait bientôt se réveiller. Penser que d'autres avaient souffert du rejet et de la solitude rendait son cœur gros qui avait du mal à réprimer ses émotions qui saccageaient tout sur leur chemin. Melwynn se tourna vers elle.
« Ce qui me chagrine le plus, c'est de savoir que ça n'a toujours pas changé depuis tous ces siècles. Et qu'il y a toujours des pauvres âmes qui sont sacrifiées à ce jour. »
Lizzie craqua et fondit en larmes. Elle en avait honte mais elle ne parvenait pas à contrôler ses sanglots qui résonnaient contre les parois du cratère, ce qui donnait au loin l'impression d'entendre des chants fantomatiques qui attiraient l'attention des reptiles aux alentours. La vieille dame vint vers elle, tandis que la Furie Nocturne rentra comme elle put sa tête dans ses épaules en voyant l'état de cette pauvre humaine qui cachait son visage dans ses mains. La créature jeta un instant son regard attristé sur Melwynn qui passait devant elle, avant de reporter à nouveau son attention sur Lizzie et de baisser ce qui lui servait d'oreilles. La femme s'assit à côté d'elle et l'invita à pleurer contre son cœur.
«Je sais, je sais... J'étais comme toi ce jour-là. N'aie pas peur de pleurer et de crier quand tu as mal ou quand tu es en colère. Il n'y a pas de honte à faire ça. »
Il n'y a pas de honte à faire ça. Exactement l'inverse de ce qu'on lui avait appris. Lentement, ses bras viennent s'attacher autour de cette femme qui aurait pu être sa grand-mère. La tête de celle-ci vint se poser sur le sommet du crâne de la petite Lizzie qui ne parvenait pas à calmer ses pleurs. En retour, elle caressait son dos et sifflait doucement des « sh » pour l'apaiser.
« Ca va aller, petite Lizzie. Ca va aller, tu n'es plus seule. »
Ces mots résonnaient dans le cœur endolori de l'enfant.
« Tu fais partie de notre famille à présent. »
L'adolescente ouvrit ses yeux rougis en entendant ces mots et regarda la femme, incapable de dire ce qu'elle pensait à cet instant. Ses pleurs s'étaient à présent arrêtés tandis que Melwynn lui souriait tendrement et plongeaient ses prunelles grises dans les siennes. Il n'y avait aucun doute, cette femme était belle même âgée. A ce moment-là, elle essayait de la visualiser quand elle avait autrefois son âge, quand elle sentit quelque chose de lourd se poser sur ses genoux nus. Son attention s'y posa dessus et elle vit la Furie Nocturne qui reposait sa tête sur ses jambes en lui faisant des yeux doux. Se rendant compte de ce qu'il se passait, elle resta immobile tandis que Melwynn se retirait de l'étreinte en gloussant joyeusement.
« Tiens regarde ! Même elle soutient ce que je dis. »
Lizzie n'osait plus bouger, terrifiée à l'idée de briser la magie qui s'opérait en faisant un mauvais geste. Si ça se trouve, jamais cela ne se reproduira. L'autre humaine, en revanche, caressait sans crainte le museau de l'animal. Alors, cherchant à trouver un sujet de conversation pour ne pas tomber dans un silence gênant, la jeune fille demanda :
« Alors... C'est... Une femelle ? » Réussit-elle à articuler malgré sa voix affaiblie par les pleurs.
- Oui. C'est notre petite perle rare de l'île, lui répondit Melwynn en cessant de caresser l'intéressée.
- Ah oui ?
- On les appelle les Furies Nocturnes. Ils se font rares de nos jours et... J'ai bien peur qu'elle puisse être la dernière représentante de leur lignée...
- Ces dragons sont en voie d'extinction ? Pourquoi ?
Melwynn médita sur la question en plongeant ses yeux dans ceux de la créature noire, qui se rapprochait pour renifler son visage.
« Je ne sais pas. Sûrement les draconniers. Nous n'avons jamais su comment cette espèce a pu disparaître presque en totalité. Alors on suppose que la rarification s'est faite au fil du temps par manque de reproduction et à cause du manque de sensibilisation chez les humains. »
Lizzie regardait cette dragonne qui avait les caractéristiques d'un chat ailé.
« Ca ne m'étonnerait pas, fit-elle. C'est une belle créature. »
- On reconnaît bien son charme, n'est-ce pas ? Elles sont impossible à approcher d'ordinaire. Tout comme il est impossible d'en attraper une vivante sans la blesser. Encore plus sans la tuer.
- Elles sont aussi sauvages que ça ?
Lizzie regarda alors ce dragon qui l'avait portée durant toute la nuit.
« Quelle est son histoire ? »
Melwynn regardait sa cadette avant de baisser à nouveau son regard sur la principale intéressée.
« Je l'ai trouvée bébé au bord de l'île, à bout de souffle, déshydratée et affamée. J'ai regardé aux alentours s'il y avait une mère blessée ou même... Morte, mais aucune trace de Furie adulte. Voyant les égratignures sur son corps et son épuisement apparent, j'en suis venue à comprendre qu'ils ont été dus à des persécutions et à un long voyage entrepris. Je n'aurai jamais cru qu'un bébé dragon voyagerait aussi longtemps... Mais je me doute qu'elle n'en avait pas eu le choix. Les autres dragons l’avaient sûrement chassée de leur île. J'avoue avoir eu peur en voyant son état... Je n'étais pas certaine qu'elle survivrait... Au final, à ma grande surprise, elle s'est montrée vaillante.»
Elle s'était levée et dirigée d'un pas lent vers le bord de leur étage de pierre. La femme regardait avec un regard tendre le Bewilderbeast qui se reposait au centre du cratère.
« L'Icebeast l'a acceptée dans son nid et tous les dragons se sont occupés d'elle comme si elle était leur progéniture. Tout ceci sous l'oeil bienveillant de leur Alpha. »
Lizzie l'avait suivie et regardait à son tour le Roi des dragons. La créature était d'un bleu glace aux nuances d'un bleu aussi sombre que le ciel de nuit.
« Il protège les siens coûte que coûte et veille à ce qu'aucun dragon ne soit abandonné à son triste sort. C'est le devoir d'un Roi.»
- A-t-il un nom ? Demanda l'adolescente qui était à présent curieuse et émerveillée.
- Nous n'avons jamais pensé à lui en donner un. Mais son espèce est appelée Bewilderbeast ou pour faire plus court, Icebeast.
La jeune fille murmura son nom, fascinée par la bête gigantesque qui se réveilla et dirigea son regard bleu cyan vers elle, avant que Melwynn ne reprenne d'un ton plus énergique :
« Bon, il serait temps que je te fasse une petite visite guidée, n'est-ce pas ? »
Et sur ce, Lizzie suivit son guide qui marchait d'un pas à la fois silencieux et dansant comme un félin. La jeune humaine avait arrêté à contre-coeur d'admirer le Roi qui semblait avoir pris note de sa présence et qui l'avait transpercée de ses yeux perçants en retour. Melwynn s'empressait de lui montrer sa nouvelle maison, son lit, le coin cuisine, le coin rangement... Ce que la petite semblait déjà savoir par déduction. Puis vint la fameuse question que Melwynn redoutait tant :
« Et pour ce qui est de l'hygiène ? »
- J'étais sûre que tu me demanderais ça, dit-elle en souriant. Viens, je vais te montrer.
Et Lizzie la suivit. Elles descendirent de leur étage et la nouvelle venue put voir un tapis de verdure et de fleurs recouvrir les étages plus bas. Une cascade se jetait en haut des pierres puisque cette eau était issue de la glace qui fondait au plafond et qui s'écoulait dans une petite courbe, pour former plus bas un grand point d'eau où les dragons venaient se désaltérer et se baigner. De grands dragons d'eau, au long cou et à la tête plate qui pouvait remplir sa bouche d'eau comme un ballon de baudruche, connus sous le nom d'Ebouillantueurs, s'occupaient de réchauffer l'eau quand elle était bien trop froide pour accueillir des êtres humains.
« Et nous avons de quoi manger convenablement aussi. On a beaucoup voyagé pour que je puisse récupérer des pousses et des graines. »
- C'est ainsi que vous avez survécu aussi longtemps ?
- J'ai même vécu, renchérit-elle. Oui, et comme tu peux le voir, 67 ans et toujours en forme !
- Vous vous êtes bien conservée, Melwynn, osa dire l'enfant.
- Pourtant je vis à fond. Si j'étais restée sur Soleil Couchant, je serai déjà dans un état végétatif, affalée dans un fauteuil...
Puis elle continua le chemin et prit une pause brève.
«Je suis heureuse d'être ici. C'est la meilleure chose qui ai pu m'arriver. »
Ensuite elle regarda Lizzie qui était sur ses talons mais qui ne semblait pas approuver.
«Vraiment, je suis sincère. Tu comprendras une fois que tu auras trouvé ta place ici. »
- Hm, certainement... Dit-elle alors sans trop de conviction.
- Allez, suis-moi jusqu'à dehors, je vais te montrer comment j'ai pu vivre aussi longtemps !
L'adolescente redressa la tête pour voir la vieille dame se précipiter dehors comme une jeune femme pleine d'énergie et se mit à la suivre sans partager son entrain.
Dehors, elles marchaient ensemble sur le chemin de terre fait par les nombreux allers et venues des survivants humain. Sans trop donner d'attention au paysage contrairement aux emplacements de ses pieds, la jeune fille se risqua de demander :
« Comment avez-vous pu conserver aussi bien votre dextérité et votre endurance ? Moi-même... J'ai du mal à vous suivre » Lui disait-elle en commençant à souffleter.
- Oh, jeune fille, dans mon cas, vivre parmi les dragons m'a appris à entretenir ce corps ! Que ce soit pour me balader avec eux, voler, chasser, il m'a fallu être à leur contact en permanence ! Expliquait la vieille dame tout sourire. Bon à présent, je me suis mise en ménage depuis une petite décennie. J'ai beau m'être conservée, mais je ne suis pas à l'abri de la vieillesse. Mes articulations en ont pris un sacré coup tout comme mon petit cœur, mais je dois avouer que cela m'a fait beaucoup de sport et avec le régime que j'avais, je ne pouvais que vivre pleinement.
Et sur ces mots, elles s'arrêtèrent sur un jardin fait de tomates, de salades et de choux ainsi que de patates, accompagné d'arbres fruitiers et de baies. Elle arracha une pomme de son arbre et la tendit à Lizzie :
« Tiens donc, mon enfant. Tu dois avoir faim après ces longues heures de vol. »
- Euh, pas vraiment, avoua-t-elle tout en acceptant néanmoins l'offrande.
Après tout, on l'avait un peu gavée de nourriture pour la cérémonie. La jeune fille donna un coup de dents dans la pomme, puis un autre, et encore un jusqu'à ce qu'il ne reste du fruit que le trognon.
- Alors ?
- Délicieuse, affirma Lizzie.
- Tu comprends pourquoi je suis bien conservée ! Rit Melwynn tandis qu'elle se rapprochait du bord pour admirer le lever du soleil.
Lizzie n'osait pas en faire de même, après tout avec la chance qu'elle avait, une petite abeille pourrait se poser sur son nez et la faire tomber dans le vide par surprise. Elle contempla alors ce qu'il y avait autour d'elle, espérant trouver une place où se poser. Plus bas, on avait la vue sur les bancs de pierre entourant le point d'eau, où bon nombre de dragons dormaient encore parmi ceux qui se réveillaient et s'étiraient.
« Tu devrais aller faire de même, Lizzie. La route n'a pas été de tout repos pour toi et je ne voudrai pas te voir t'écrouler dans mes bras et avoir à ramener ton corps sans vie au lit. Tu risquerais de me casser le dos. Allez, rentrons. »
- Mais, et vous... ?
- Ne t'inquiètes pas pour moi, je ne dors que quelques heures et je me lève toujours une heure avant le soleil. Et tu peux me tutoyer, répondait-elle en rebroussant chemin, suivie d'une Lizzie hésitante.
~†~
Melwynn avait préparé les couvertures faites de peaux de bêtes pour le lit de sa nouvelle protégée. Lizzie la remercia, apparemment épuisée une fois que sa couche était en vue.
« Pose-toi donc » lui disait Melwynn sur un ton plus bas.
La demoiselle s'approcha et ne tarda pas à s'asseoir tout en la remerciant. La femme recula ensuite puis tourna les talons avant de s'éloigner :
« Je serai de retour aux alentours de midi. Je viendrai te réveiller pour le déjeuner. Fais de beaux rêves. »
- A plus tard, Melwynn.
Et elle s'en alla sur le dos d'un dragon aux couleurs de la terre qui accompagnait le départ d'un cri. La petite Lizzie, qui avait vu l'envol spectaculaire, n'avait pu s'empêcher de pousser un long « wow » depuis son lit. Quand sa nouvelle amie disparut de son champ de vision, celle-ci se coucha dans son lit de bois avec un sourire sur les lèvres. C'était bien au-delà de ce qu'elle aurait pu imaginer. Un être humain volant sur le dos d'un dragon ! Du jamais vu dans l'Histoire de Soleil Couchant ! La Furie Nocturne avait regardé le départ de Melwynn, envieuse de faire pareil mais devait pour une raison inconnue rester à la maison. Lizzie se redressa quelque peu pour la regarder, tentée d'essayer une approche avec un de ces reptiles. Alors celle-ci se risqua à l'appeler en claquant sa langue contre son palais. Cela marcha... à moitié. L'animal avait tourné son regard vers elle mais afficha une tête ennuyée, avant de lui tourner le dos et de se coucher au bord de l'étage, à la lumière du jour.
« Bon, j'aurai essayé... » Conclut-elle en haussant les épaules avant de s'étendre à nouveau.
Avec ce même petit sourire aux lèvres, Lizzie ferma les yeux et se laissa gagner par le sommeil.